Saigon
1954, la Cité Lyautey
Partie
1
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Anthony
Ducoutumany
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A
cette époque au Sud du 17e parallèle se créait la République du Vietnam,
avec à sa tête le président Ngô Dinh Diêm, soutenu par la France et
les Etats Unis. Ce gouvernement a eu fort à faire avec le déferlement
de ces réfugiés venus du Nord, dont le nombre dépassait largement les
prévisions ; pensez donc, accueillir et loger un MILLION de gens sans
racines dans le sud !
Il a fallu parer au plus pressé
; qu'est ce qui était disponible pour les accueillir ? On a pensé aux
anciens camps de l'armée française bien sûr, dont les militaires bientôt
rapatriés n'avaient plus besoin, et qu'ils avaient évacués. Dans un
premier temps, les nouveaux arrivants à Saigon se voyaient cantonnés
dans les camps de Hành Thông Tây et de Bà Queo, près de l'aéroport
de Tân Son Nhât où ils avaient débarqué. C'était des tentes de l'armée,
mais en attendant mieux, ils étaient casés là.
Ensuite,
et c'est le début de mon propos, on a pensé à un ancien casernement
assez large, face à l'hippodrome de Phú Thọ dans un quartier de Cholon,
actuellement le Quartier 10 - Quân 10 - boulevard Pavie de l'époque -
actuellement Duong 3 thang' 2 - à l'angle de la rue Leclerc, actuellement
Lý Thường Kiệt - où se trouve maintenant l'Ecole Polytechnique des
Ingénieurs, très réputée.
Les habitants du quartier étaient
habitués aux militaires, qui sont donc repartis, et maintenant débarque
cette communauté... De quoi se compose - t - elle ? Naturellement d'anciens
de l'armée, avec leurs familles, des Français, Vietnamiens anciens explétifs,
et beaucoup d'Eurasiens, leurs progénitures, et certains parents et cousins
plus ou moins proches. Ils étaient 2.000 sans doute, peut être 2.500,
qui allaient faire de cet ancien camp militaire leur nouveau "chez eux
". Leurs noms sont très traditionnels, il y avait les familles Lamy, Perier,
Perroton, Salmon, Henry, Michel, etc.…et même une famille Crétinnoir,
véridique !
Depuis le Boulevard Pavie, on passe
un grand portique, avec au dessus une grande pancarte marquée " Cité
Lyautey ", tout cela datant du temps de l'armée. En
entrant dans la grande esplanade d’entrée, l'impression se confirme
: l'on arrive à un grand parterre fleuri, en forme de losange, avec une
grande croix de Lorraine en fleurs, et pour décorer aux quatre coins du
losange, quatre anciennes bombes de l'Armée de l'Air certainement désamorcées.
Sur la droite du losange, un petit bâtiment qui avait dû servir de prison,
mais qui doit servir de débarras ou de remise, on pouvait y voir des chaises
et des tables empilées. Les logements avaient conservé leur mobilier,
des lits métalliques superposables de l'armée.
Si on se tourne vers la gauche, alors
apparaissent les bâtiments ; barres alignées régulièrement, marquées
de grandes lettres de l'alphabet, derrière une haie d'arbustes, avec à
notre gauche des bâtiments à toits de tôle ondulée, et sur notre droite
les autres bâtiments, ceux là avec des toits en tuiles.
Derrière le premier bâtiment tuilé,
une petite place avec des arbres, comme les places du midi avec des platanes,
mais là il y avait entre autres un flamboyant - cây phuong vi -, dont
les floraisons égayaient le paysage. Cette esplanade servait de terrain
de jeux aux enfants de la Cité Lyautey, assez nombreux quand même. On
jouait à la toupie de bois, enroulant une ficelle autour pour la faire
tourner.
En poussant plus loin vers le fond
de l'esplanade, un bâtiment à l'apparence exotique, avec des feuilles
de cocotiers et toit de chaume, qui serait plus à sa place sur une plage
du Pacifique sous des cocotiers. Ce baraquement servait de Maison des Arts
et de la Culture, ou de Club House, abritant des représentations artistiques,
et les quelques bals qui s'y tenaient ; faut bien vivre et garder le moral...On
écoutait les chansons de l'époque, Siboney, Perfidia, Cerisier rose et
Pommier blanc, Tango Bleu etc.…Toute une époque !
Si on pousse encore vers le fond,
on découvre les bâtiments sanitaires et les douches, bien naturellement.
Maintenant si on retourne vers la droite, on suit l'alignement des bâtiments
aux toits de tuile, une douzaine quand même, et on arrive aux limites
de la Cité Lyautey.
On aperçoit avant les derniers
bâtiments un ancien château d'eau maintenant désaffecté, qui va servir
de terrain de jeux pour les plus téméraires, mais ils n'avaient aucune
conscience des risques qu'ils prenaient. Heureuse et insouciante enfance...
C'etait aussi dans ces derniers
bâtiments que les Pères Missionnaires avaient installé leur chapelle,
avec même un orgue en parfait état, et le dimanche y célébraient la
messe, avec l'aide des Soeurs Missionnaires qui venaient évangéliser
les enfants de la Cité Lyautey, et donner quelques cours élémentaires
pour rendre service.
Pour finir la visite, allons vers
l'angle du boulevard Pavie - duong 3 thang' 2 - avec la rue Leclerc - duong
Lý Thường Kiệt. Dans le coin se dresse un blockhaus mirador, qui
donne une bonne vue sur l'extérieur, et surtout sur le champ de courses
! Là on pouvait resquiller et regarder les courses de chevaux sans payer
l'entrée, les enfants ne s'en privaient pas.
Comment
ces Eurasiens vivaient ils leur nouvelle vie dans cette Cité Lyautey ?
Oh bien sûr ils étaient loin d'être riches, mais ils n'étaient pas
miséreux non plus, et pouvaient sortir faire leurs emplettes dans les
commerces du quartier, comme les autres gens, poussant peut être jusqu'au
marché Nguyên Tri Phuong pas très loin, en suivant la rue Bà Hat y
menant depuis la Cité, passant par la rue Nguyên Kim leur faisant face.
Ils allaient dans le quartier cueillir
les petits fruits des prunelliers trứng cá. Toujours ça de pris sans
payer... On pouvait aussi louer des vélos et s'entraîner à rouler, pour
quelques pièces de notre maigre argent de poche. L’anecdote la
plus inoubliable est qu’un jour, des parents ont découvert une annonce
recrutant des figurants pour le tournage d’un film sur le fameux
pont en Y à Cholon pas très loin, et
certains d’entre nous ont bien sûr profité de l’occasion, pour gagner
quelques billets en s’amusant. Et c’est ainsi que nous figurons dans
la scène d’ouverture de la fête sur le pont en Y, du célèbre cinéaste
Joseph Mankiewicz, dans le film « un Américain bien tranquille
» soit « the Quiet American « d’après le roman de Graham Greene ,
excusez du peu, et je me souviens que nos cachets étaient très intéressants,
pour si peu de « travail ».
Mais ce n'est pas tout de batifoler,
il faut aussi penser à la scolarité. On avait naturellement le droit
d'aller dans les établissements scolaires encore gérés par l'administration
française, qui gérait la petite communauté des citoyens français à
Saigon.
L'Ambassade de France se trouvait en face du quai Bach Dàng, juste devant
la fameuse Pointe des Blagueurs, rendez vous du Tout Saigon colonial de
l'époque, qui y a vu passer même Alain Delon troufion ; on a même le
souvenir des dialogues dans le film Les tontons flingueurs, où Lino Ventura
évoquait cette époque là...Bref, il fallait quand même aller à l'école
pour les enfants de la Cité Lyautey. Vu leurs âges, ils devaient aller
à l'école primaire Jauréguiberry dans la rue éponyme, rue Ngô Thoi
Nhiêm actuelle dans le quân 3. Certains se souviendront toujours de cette
petite école peinte couleur rouge brique...et plus tard poursuivre au
Collège - Lycée Chasseloup Laubat, le plus ancien de Saigon, devenu Lycée
Jean Jacques Rousseau - maintenant Lê Quy Dôn.
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