Il a fallu parer au plus pressé ; qu'est ce qui était disponible pour les accueillir ? On a pensé aux anciens camps de l'armée française bien sûr, dont les militaires bientôt rapatriés n'avaient plus besoin, et qu'ils avaient évacués. Dans un premier temps, les nouveaux arrivants à Saigon se voyaient cantonnés dans les camps de Hành Thông Tây et de Bà Queo, près de l'aéroport de Tân Son Nhât où ils avaient débarqué. C'était des tentes de l'armée, mais en attendant mieux, ils étaient casés là. Ensuite, et c'est le début de mon propos, on a pensé à un ancien casernement assez large, face à l'hippodrome de Phú Thọ dans un quartier de Cholon, actuellement le Quartier 10 - Quân 10 - boulevard Pavie de l'époque - actuellement Duong 3 thang' 2 - à l'angle de la rue Leclerc, actuellement Lý Thường Kiệt - où se trouve maintenant l'Ecole Polytechnique des Ingénieurs, très réputée. Les habitants du quartier étaient habitués aux militaires, qui sont donc repartis, et maintenant débarque cette communauté... De quoi se compose - t - elle ? Naturellement d'anciens de l'armée, avec leurs familles, des Français, Vietnamiens anciens explétifs, et beaucoup d'Eurasiens, leurs progénitures, et certains parents et cousins plus ou moins proches. Ils étaient 2.000 sans doute, peut être 2.500, qui allaient faire de cet ancien camp militaire leur nouveau "chez eux ". Leurs noms sont très traditionnels, il y avait les familles Lamy, Perier, Perroton, Salmon, Henry, Michel, etc.…et même une famille Crétinnoir, véridique ! Depuis le Boulevard Pavie, on passe un grand portique, avec au dessus une grande pancarte marquée " Cité Lyautey ", tout cela datant du temps de l'armée. En entrant dans la grande esplanade d’entrée, l'impression se confirme : l'on arrive à un grand parterre fleuri, en forme de losange, avec une grande croix de Lorraine en fleurs, et pour décorer aux quatre coins du losange, quatre anciennes bombes de l'Armée de l'Air certainement désamorcées. Sur la droite du losange, un petit bâtiment qui avait dû servir de prison, mais qui doit servir de débarras ou de remise, on pouvait y voir des chaises et des tables empilées. Les logements avaient conservé leur mobilier, des lits métalliques superposables de l'armée. Si on se tourne vers la gauche, alors apparaissent les bâtiments ; barres alignées régulièrement, marquées de grandes lettres de l'alphabet, derrière une haie d'arbustes, avec à notre gauche des bâtiments à toits de tôle ondulée, et sur notre droite les autres bâtiments, ceux là avec des toits en tuiles. Derrière le premier bâtiment tuilé, une petite place avec des arbres, comme les places du midi avec des platanes, mais là il y avait entre autres un flamboyant - cây phuong vi -, dont les floraisons égayaient le paysage. Cette esplanade servait de terrain de jeux aux enfants de la Cité Lyautey, assez nombreux quand même. On jouait à la toupie de bois, enroulant une ficelle autour pour la faire tourner. En poussant plus loin vers le fond de l'esplanade, un bâtiment à l'apparence exotique, avec des feuilles de cocotiers et toit de chaume, qui serait plus à sa place sur une plage du Pacifique sous des cocotiers. Ce baraquement servait de Maison des Arts et de la Culture, ou de Club House, abritant des représentations artistiques, et les quelques bals qui s'y tenaient ; faut bien vivre et garder le moral...On écoutait les chansons de l'époque, Siboney, Perfidia, Cerisier rose et Pommier blanc, Tango Bleu etc.…Toute une époque ! Si on pousse encore vers le fond,
on découvre les bâtiments sanitaires et les douches, bien naturellement.
Maintenant si on retourne vers la droite, on suit l'alignement des bâtiments
aux toits de tuile, une douzaine quand même, et on arrive aux limites
de la Cité Lyautey.
Pour finir la visite, allons vers l'angle du boulevard Pavie - duong 3 thang' 2 - avec la rue Leclerc - duong Lý Thường Kiệt. Dans le coin se dresse un blockhaus mirador, qui donne une bonne vue sur l'extérieur, et surtout sur le champ de courses ! Là on pouvait resquiller et regarder les courses de chevaux sans payer l'entrée, les enfants ne s'en privaient pas. Comment
ces Eurasiens vivaient ils leur nouvelle vie dans cette Cité Lyautey ?
Oh bien sûr ils étaient loin d'être riches, mais ils n'étaient pas
miséreux non plus, et pouvaient sortir faire leurs emplettes dans les
commerces du quartier, comme les autres gens, poussant peut être jusqu'au
marché Nguyên Tri Phuong pas très loin, en suivant la rue Bà Hat y
menant depuis la Cité, passant par la rue Nguyên Kim leur faisant face.
Mais ce n'est pas tout de batifoler,
il faut aussi penser à la scolarité. On avait naturellement le droit
d'aller dans les établissements scolaires encore gérés par l'administration
française, qui gérait la petite communauté des citoyens français à
Saigon.
L'Ambassade de France se trouvait en face du quai Bach Dàng, juste devant
la fameuse Pointe des Blagueurs, rendez vous du Tout Saigon colonial de
l'époque, qui y a vu passer même Alain Delon troufion ; on a même le
souvenir des dialogues dans le film Les tontons flingueurs, où Lino Ventura
évoquait cette époque là...Bref, il fallait quand même aller à l'école
pour les enfants de la Cité Lyautey. Vu leurs âges, ils devaient aller
à l'école primaire Jauréguiberry dans la rue éponyme, rue Ngô Thoi
Nhiêm actuelle dans le quân 3. Certains se souviendront toujours de cette
petite école peinte couleur rouge brique...et plus tard poursuivre au
Collège - Lycée Chasseloup Laubat, le plus ancien de Saigon, devenu Lycée
Jean Jacques Rousseau - maintenant Lê Quy Dôn.
|
|