Vénérables, Mesdames, Messieurs,
chers amis du Dharma,
Il y a 2 ans, j'ai eu l'honneur de
présenter ici, en commémoration du 20è anniversaire de la disparition
du Vénérable Supérieur Thich Thiên Châu, un exposé sur l'"enseignement
du Maître et son œuvre de propagation du Dharma".
Aujourd'hui, avec la permission du
Vénérable Responsable religieux de la Pagode et de la Présidente de
l'Association des Bouddhistes Viêtnamiens en France, je me permets de
rappeler quelques points essentiels de son enseignement pendant plus de
30 ans, de façon à ce que nous puissions nous en inspirer dans notre
pratique, et en même temps propager le Dharma dans la direction qu'il
a prise.
La première et principale caractéristique
du bouddhisme que le Maître nous a enseigné, est sa pureté et
son authenticité, une voie de délivrance découverte il y a plus
de 2500 ans en Inde, par le Bouddha Gotama, du clan des Sakya.
C'est pour cette raison qu'au début
de chaque discours, le Maître Thiên Châu commençait toujours par la
formule : "Hommage au Maître originel, le Bouddha Sakya le silencieux",
en rappelant ainsi que le Bouddha était un maître, un être humain historique,
et non pas une divinité ou un être surnaturel.
Il utilisait aussi parfois la formule
en pali : "Namo tassa Bhagavato Arahato Samma Sambuddhasa ", ce
qui veut dire : " Hommage au Bienheureux, celui qui s'est Délivré
et s'est Parfaitement Eveillé ".
Bien sûr, le Bouddha n'était pas
un être humain ordinaire comme les autres, mais quelqu'un qui s'est délivré
et parfaitement éveillé, qui a expérimenté et montré la voie de la
délivrance à tous ceux et celles qui voudraient le suivre.
La doctrine du Bouddha que le Maître
nous a enseignée était d'une grande clarté et simplicité,
reposant sur :
- les "3 caractéristiques"
de l'existence, qui sont l'impermanence, le non-soi et la
souffrance,
- les "4 nobles vérités",
qui sont la souffrance, ses causes, son extinction
et la voie qui y mène, c'est-à-dire l"Octuple sentier",
- ainsi que la loi de "coproduction
conditionnée" qui régit l'univers.
La méthode d'entraînement du bouddhisme
est triple, consistant en l'"éthique", la "concentration"
et la "sagesse".
La doctrine du Bouddha est aussi
concis et simple que cela, mais il ne faut pas la prendre à la légère
et croire que l'on a tout compris, en la banalisant et la négligeant.
Car le bouddhisme n'est pas seulement
à connaître, à répéter par coeur, mais il demande à être compris
profondément, avec justesse, avec ce que l'on appelle la prajña,
et surtout à être pratiqué avec persévérance, d'année en année,
pendant toute une vie.
Comme disait un ancien Vénérable
: "Pratiquer sans étudier est aveugle. Etudier sans pratiquer est livresque."
La pratique permet de mieux comprendre la théorie, et les études aident
à améliorer la pratique.
La méditation y joue un rôle
essentiel, aussi le Maître a t-il toujours encouragé ses disciples à
la pratiquer régulièrement, avant même qu'elle ait été appliquée
médicalement et étudiée scientifiquement en occident...
Le deuxième point sur lequel Maître
Thiên Châu insistait souvent est que le but du bouddhisme est très pragmatique,
visant à libérer l'homme de la souffrance, à abolir les afflictions
et les souillures mentales, et à apporter la sérénité et le bonheur.
Dans le sutra Cullavaga, le Bouddha a déclaré : "O bhikkhus,
je n'ai enseigné que deux choses : la souffrance et l'extinction de la
souffrance".
L'élément essentiel est que cette
libération ne fait pas appel à l'aide d'aucune divinité ni d'aucune
puissance surnaturelle, mais sur soi-même. Chacun doit compter sur lui-même,
se libérer lui-même des chaînes avec lesquelles il s'est attaché.
Le Maître nous rappelle souvent
les paroles du Bouddha dans le "Sutra de la Grande Extinction" en
pali : "Soyez votre propre île, soyez votre propre lampe, appuyez-vous
sur vous-même et sur personne d'autre". Et dans le "Dhammapada,
les Stances du Bouddha" : "Par soi-même on produit des mauvaises
actions, par soi-même on devient impur. Par soi-même on fait de bonnes
actions, par soi-même on se purifie. Pureté et impureté ne dépendent
que de soi. Personne ne peut purifier personne ".
Bien sûr, pour des raisons historiques,
le bouddhisme viêtnamien a subi de lourdes influences du Mahayana
chinois, qui s'appuyait sur de nombreux Sutras et Commentaires rajoutés
ultérieurement, au moins 5 siècles après le Bouddha, par des patriarches
indiens et chinois. Plusieurs Ecoles bouddhistes sont apparues en Chine
et se sont propagées au Viêt Nam, surtout l'Ecole de la Terre Pure,
l'Ecole du Chan ou Thiên, et l'Ecole tantrique, qui
se sont retrouvées en pratique plus ou moins mélangées en un syncrétisme
religieux.
Maître Thiên Châu ne voulait pas
que cette distinction en Ecoles fût à l'origine d'une discorde entre
les bouddhistes. C'est-à-dire des discriminations, des disputes entre
les différentes branches, du Theravada, du Mahayana, du
Vajrayana,
et entre les différentes Ecoles. Il voulait simplement que tous les bouddhistes
venant d'horizons différents, puissent s'accorder et se retrouver ensemble
autour de l'enseignement princeps du Bouddha Gotama, visant l'éveil
et la délivrance, grâce à des pratiques adaptées à chacun.
Toutefois, il critiquait la classification
de l'enseignement bouddhique par des patriarches chinois, appelée les
"5 périodes et 8 enseignements", établissant une véritable hiérarchie,
mettant les Sutra Agama (proches des anciens Nikaya) tout
en bas, et les Sutra du Lotus et de la Grande Extinction
plus récents tout en haut.
Cette vision, entièrement subjective
et sans fondement, était contraire à l'histoire de la pensée bouddhiste.
D'après le Maître, "Cette conception erronnée de l'histoire de la
pensée bouddhiste a eu pour conséquence dangereuse le mépris de l'enseignement
fondamental par le Bouddha lui-même pendant 45 ans, contrastant avec l'engouement
des Ecritures développées ultérieurement. Aussi, est-il important pour
nous de bien distinguer les Sutra du Bouddha et ceux des patriarches."
C'est aussi la raison pour laquelle
le Maître prônait la récitation des Sutra en viêtnamien et non
pas en chinois ou en sanskrit, car il s'agit de comprendre la signification
des Sutra et non de les réciter pour réciter...
Envers les fidèles bouddhistes animés
plutôt par la foi, vénérant les Bouddhas et Bodhisattvas, particulièrement
le Bouddha Amitabha, le Bodhisattva Kuan Yin, le Maître
se montrait compréhensif et ne s'y opposait nullement, mais leur conseillait
simplement d'étudier davantage l'enseignement originel du Bouddha,
afin de comprendre que le bouddhisme est avant tout une voie de sagesse
et d'éveil par soi-même, reposant sur ses propres efforts plutôt que
sur l'action salvatrice des Bouddhas et Bodhisattvas.
Et comme nous vivons actuellement
une époque moderne et scientifique, le Maître prônait le bannissement
des fausses croyances et superstitions, des coutumes désuètes reposant
sur des traditions populaires arriérées, sans aucun lien avec le bouddhisme,
telles : la divination, le feng-shui, les amulettes et formules sacrées,
les transes chamaniques, les cérémonies de désenvoûtement contre les
fantômes et les esprits maléfiques...
Enfin, mais cela remonte déjà à
longtemps, l'une des principales préoccupations de Maître Thiên Châu
était de contribuer au renouveau de la culture bouddhique viêtnamienne,
avec la création d'un Centre de recherches et d'études bouddhiques, avec
l'aide d'érudits comme les Professeurs Hoang Xuân Han et Lê Thanh Khôi,
et également de contribuer à la modernisation du bouddhisme, à travers
plusieurs Colloques sur "Le bouddhisme dans le monde contemporain"
organisés à l'Institut Bouddhique Truc Lâm vers la fin de la décennie
90.
Il était conscient que les sciences
et technologies avaient apporté à la société moderne le développement
et l'abondance matériels, mais sur le plan moral l'homme se sent toujours
en manque, abandonné, écrasé par les peines, les souffrances, avec des
problèmes sociétaux, psychologiques, environnementaux de plus en plus
complexes et ardues.
Le Maître nous a quittés trop tôt
à l'âge de 67 ans, laissant une oeuvre encore inachevée, sans que personne
ne pût prendre le relais, afin de faire face à l'ambition de quelques
uns, ayant conduit au dépérissement de Truc Lâm pendant une quinzaine
d'années.
Aujourd'hui, grâce à l'endurance
et la persévérance des Vénérables et des laïcs, la Pagode a été
reconstruite et restaurée, avec une atmosphère redevenue paisible et
sereine. Même si nous ne sommes plus très nombreux, nous les anciens
élèves du Maître, nous nous efforçons autant que possible de garder
et de transmettre son enseignement limpide, simple et bienveillant.
En espérant que cet enseignement
perdurera encore pendant de nombreuses générations, et quelque soient
les changements de ce monde mouvant, que la Pagode et l'Institut Bouddhique
Truc Lâm garderont toujours l'image d'un grand bhikkhu, à la conduite
vertueuse et à l'esprit brillant, qui mérite bien son nom de Thiên Châu,
signifiant le "Joyau du Bien".
Hommage au Maître originel, le
Bouddha Sakya le silencieux.
Villebon
s/Yvette, le 04/10/2020,
à l'occasion
du 22è Anniversaire de la disparition du
Vénérable
Supérieur Thich Thiên Châu,
fondateur
de l'Institut Bouddhique Truc Lâm
Trinh Dinh
Hy (nom de Dharma Nguyên Phuoc)
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