Méditation et neurosciences. Aspects scientifiques et médicaux. 
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Dr D. Prapotnich

A/ La méditation

Le mot français " méditation " vient du latin " meditatio " qui recouvre l’action de réfléchir, de penser profondément à un sujet, de s’absorber dans une réflexion profonde.

Il est la traduction du terme originel " bhāvanā " en pali comme en sanskrit, qui peut être traduit par " culture ou cultiver " dans le sens d’une préparation ou d’un développement mental grâce à un ensemble d’exercices quotidiens de l’esprit. Cette pratique est un processus continu, un entrainement spirituel qui n’a pas de fin.

Il existe donc une différence fondamentale entre la traduction française " méditation " qui évoque un phénomène statique, ponctuel, limité dans le temps et sa signification historique bien plus large et dynamique, d’une pratique qui doit être poursuivie tout au long de la vie.

Il s’agit bien d’une action volontaire et continue de l'esprit qui consiste à cultiver (faire évoluer, transformer) sa vision des choses en tournant son regard vers l'intérieur grâce à des exercices de pure concentration et d’attention extrême.

Ces techniques d’entrainement mental (accessibles à tout le monde) visent à développer le contrôle de l’attention et à dissiper progressivement les obscurcissements mentaux générés par les passions et les attachements aux illusions, afin de se libérer de la souffrance et atteindre le calme mental et l’équanimité. Dans le bouddhisme, le mot équanimité (égalité de l’humeur) traduit le mot sanskrit upekṣā (upekkha en pāli). Dans ce contexte on l'entend plus comme " impartialité ", l'intention de bienveillance étant égale envers un proche comme envers un inconnu ou même quelqu'un de malveillant à notre égard. Elle nous permet d'être totalement avec ce qui existe sans être perdu ou désespéré, sans prendre les choses personnellement; c'est l'acceptation totale de ce qui est.

Il faut distinguer deux acceptions du mot " esprit " en français. L’une plutôt scientifique (mind en anglais) étant liée à l’activité cérébrale mesurable, recouvrant tout ce qui se passe dans le cerveau (émotions, sentiments, pensées, réflexions etc..) et l’autre plutôt religieuse qui présuppose une connexion à une dimension supérieure (" spirit " en anglais). Cet exposé, de par sa nature, sera consacré à la première signification.

Il existe de nombreuses formes et variantes de " méditations " au sens large, dont certaines ne sont pas propres au bouddhisme (christianisme, soufisme, jaïnisme, hindouisme). Cependant c’est le bouddhisme qui a le plus intimement intégré cette notion au cœur même de sa pratique. Les différentes écoles et courants du bouddhisme, que nous ne détaillerons pas dans cet article, ont chacun leurs particularités et insistent plus ou moins sur un ou plusieurs aspects de la pratique méditative, mais tous se réfèrent aux enseignements du Bouddha historique Shakyamuni.

Cette pratique est enseignée depuis plus de 25 siècles et de nombreuses générations successives de maîtres ont progressivement et empiriquement, affiné le processus mental.

Techniquement il s’agit tout d’abord d’apaiser l’esprit (samatha) et de " calmer le singe " (nos pensées incessantes qui s’agitent sous notre crâne), par un entrainement régulier et quotidien en utilisant la concentration mentale " sur un seul point ". Celui-ci utilise souvent la respiration avec le va et vient du souffle et la succession des inspirations et expirations comme point de référence. Il faut laisser le flux de pensées se déposer tranquillement afin d’atteindre le calme mental et l’état de pleine conscience pour ne plus fonctionner " en automatique ".

Lorsque cette étape est acquise, vient le temps de la vision pénétrante (vipassanā), littéralement voir les choses telles qu’elles sont réellement. Il faut laisser les pensées et fabrications mentales apparaitre et disparaitre d’elles-mêmes, sans tenter d’intervenir mentalement ou intellectuellement, simplement en les reconnaissant et en les identifiant comme non substantielles. L’esprit apaisé peut alors reconnaitre la véritable nature des phénomènes et atteindre la sagesse en examinant les différents aspects de la " réalité " pour constater leur vacuité et leur impermanence.

En fait samatha et vipassanã se font alternativement en intrication constante, de plus en plus rapidement, avec l’expérience des pratiquants. La méditation de la compassion bienveillante ou altruiste combine ces deux aspects. Les méditants très expérimentés peuvent ainsi atteindre la connaissance suprême de la véritable nature des phénomènes et l’éveil.

L’aspect subjectif de ce que l'on croit appréhender (voir, entendre, sentir, toucher, goûter, penser) est sujet à de nombreuses perturbations et modifications par le cerveau sous la forme d’émotions, de préjugés, de ressentiments, de conditionnements mentaux, de schémas intellectuels pré établis.

Le but de la méditation est de s’harmoniser avec la nature (comprendre l’impermanence des choses et l’accepter sans regret) et avoir une vision non dualiste des choses (ne pas catégoriser).

La souffrance (Dukkha) est le résultat d'une production de notre esprit en réponse à des frustrations ou des privations (ou non obtention de ce que l'on convoite). En d'autres termes nous nous nuisons à nous-mêmes constamment en voulant sans cesse ce qu’on ne possède pas et en essayant d’éviter à tout prix ce que l’on aime pas. L'acceptation des choses telles qu'elles sont, le lâcher prise et l’extinction de la " soif d’avoir " ainsi que l'harmonisation de notre esprit à notre environnement, permet d'éviter ces ressentiments négatifs.

Certaines techniques séculières d’entrainement mental MBSR (mindfulness-based stress reduction) et MBCT (mindfulness-based cognitive therapy) développées " récemment " (Jon Kabat Zin, 1980-1990) par les occidentaux sont en quelque sorte une adaptation " condensée " et dépouillée de la partie religieuse et de l'éthique bouddhique initiale. Ces enseignements de pleine conscience avec un recentrage sur soi-même en développant et en contrôlant l’attention, répondent à un besoin fondamental de l’esprit humain que les occidentaux ont trop longtemps ignoré. L’être humain fait d’un corps et d’un esprit a besoin d’entretenir l’un et l’autre s’il veut être heureux et éviter la souffrance physique ou psychique.

B/ Aspects scientifiques et neurosciences

Le nombre de publications scientifiques concernant les effets et le retentissement de la méditation sur la santé n’a cessé d’augmenter depuis 1990 passant d’une cinquantaine par an à plus de 600 dans les années 2010 et plus de 1000 actuellement.

La méditation pratiquée quotidiennement induit des modifications fonctionnelles mais également structurelles (Hötzel et al, Scan 2010) dans l’organisation neuronale cérébrale notamment au niveau de l’amygdale.

De nombreuses études scientifiques démontrent que la neuro-plasticité et la réorganisation des synapses est effective et continue, particulièrement sous l’influence de la méditation, " nous somme nos synapses " disait Joseph Ledoux, neurobiologiste spécialiste des émotions.

Le cerveau humain est sans doute l’objet le plus complexe de l’univers (100 milliards de neurones et plus de 10000 synapses en moyenne ou connexions synaptiques sur chaque neurone, l’ensemble constituant le " connectome "). Le monde est littéralement reconstruit par l’encéphale dans notre cinéma intérieur grâce aux organes sensoriels. Ceux-ci sont apparus progressivement au cours de l'évolution Darwinienne afin d’interpréter notre environnement, dans le cadre d'un processus continu et adaptatif (vision, audition, sens tactile, goût, saveur).

Le bouddhisme ajoute une autre " source " sensorielle : la " construction mentale " car la fabrication des pensées sans stimulus extérieur peut perturber notre réflexion. Le cerveau ne fait pas de différence entre le réel et le rêve. Par exemple, nous pouvons nous réveiller en sueur, le cœur battant très fort et paniqué, à la suite d’un cauchemar. Tout est une question d'interprétation, d'influx nerveux touchant certaines zones cérébrales, d’activation ou non de certains centres nerveux. Les animaux ne " voient " pas le monde comme nous, car leurs organes sensoriels sont différents (chauve-souris, mouches etc...).

Le cerveau fabrique une " interprétation du réel " et celle-ci peut être perturbée de multiples façons (illusions sensorielles bien connues en aviation sous l’influence des accélérations, illusionnistes, etc...). On voit donc apparaitre la dimension subjective de " ce qui est ". On peut agir par la méditation sur soi-même, et transformer son esprit petit à petit, si on le souhaite vraiment, lors des multiples étapes de cette création mentale, pour diminuer ou amplifier certaines émotions ou sensations.

Il existe deux principaux réseaux de fonctionnement neuronaux dénommés en anglais DMN et TPN.

Le réseau DMN (default mode network) ou réseau de fonctionnement par défaut comprend certaines zones cérébrales responsables de la mémoire et de la perception du soi. Le réseau DMN est responsable du processus de la pensée intérieure, comme quand on "pense à autre chose".

On peut démontrer que le fonctionnement de ce réseau est loin d'être passif et qu'en fait il utilise beaucoup d'énergie. En un sens, le DMN entre en compétition avec d'autres zones du cerveau pour en utiliser les ressources. Dès que vous vous mettez à faire quelque chose qui réclame de l'attention, votre cerveau doit inhiber le DMN. Ce Réseau Mode par Défaut est responsable de l’état inattentif, distrait, de vagabondage mental, de rêverie, dans lequel on rumine le passé, et fait des suppositions pour le futur. Il est actif pendant environ la moitié de notre temps éveillé. Son apport positif est l’imagination, la créativité, la planification, la révision du passé pour améliorer le futur. Par contre, son aspect négatif l’emporte lorsqu’il est en hyperactivité ou perturbé, avec apparition de toutes sortes d’émotions négatives, comme l’anxiété, la dépression, les états obsessionnels (article du Dr Hy Trinh).

Le DMN est en opposition de fonctionnement avec le réseau de tâches positives TPN (Task-positive network). Ces deux réseaux sont antagonistes ou mutuellement exclusifs.

Le réseau TPN est activé au cours de la méditation de pleine conscience. C’est lui qui commande l’attention au présent, la perception du corps ou l’observation du mental. Le fait qu’il soit activé va désactiver le DMN, d’où l’arrêt des ruminations, des regrets du passé, des suppositions du futur, qui sont générateurs de stress, d’anxiété, voire de dépression. Ceci est nettement démontré en comparant l’activité des deux réseaux chez les méditants et les sujets " contrôle " (Dr Hy Trinh).

Le fonctionnement cérébral, d'une extrême complexité, est très difficile à comprendre et les tentatives, depuis plusieurs années, du " Human Brain Project " destinées à reproduire l’activité du cerveau humain sur ordinateur, sont restées pour l'instant sans solution.

Les ondes gamma sur l’électro encéphalogramme (fréquence environ 40 Hz), qui témoignent d’une grande activité cérébrale, sont les modifications visibles d’une activité méditative intense et régulière, pratiquée quotidiennement depuis longtemps. Elles traduisent une synchronisation très importante des centres cérébraux (expériences de Matthieu Ricard).

Par ailleurs certaines études récentes (Jacobs et al 2011, prix Nobel) ont mesuré le dosage de la télomérase sanguine (qui est une enzyme contrôlant la longueur des télomères en rapport avec le vieillissement cellulaire), chez des méditants ayant une longue expérience contemplative et chez des sujets novices. Celles-ci démontre une augmentation significative du taux de la télomérase chez les pratiquants (suggérant une action anti âge sur la physiologie cellulaire).

D’autres études (Antoine Lutz, 2008) démontrent une action générale sur l’inflammation avec une meilleure réponse en faveur de la méditation, probablement par l’intermédiaire de la diminution de la sécrétion de cortisol lors de la méditation. De même certaines études montreraient un possible retentissement génétique de la méditation (Herbert Benson de Boston, gènes associés à la sécrétion d’insuline et aux mécanismes d’inflammation).

Le réarrangement structurel des synapses chez l’adulte est constaté par l’IRM fonctionnelle ou par le PET scan dans de nombreuses pratiques sportives ou chez des personnes ayant une activité spécifique (jongleurs ou musiciens par exemple). On a pu récemment mettre en évidence, par IRM fonctionnelle, un changement identique avec une augmentation du nombre de synapses dans certaines structures cérébrales (insula), lors d’une méditation intense sur la compassion (Antoine Lutz, Matthieu Ricard, au NCAM de Boston). Certaines études (Sagi et al) suggèrent même que quelques heures seulement, pourraient suffire, pour observer un changement dans la structure de la matière grise. Le cerveau reste un organe mystérieux, mouvant, qui ne cesse d'évoluer quand on le sollicite.

C/ Aspects médicaux

L’ouverture en février 2013 d’un diplôme universitaire de méditation de pleine conscience à Strasbourg par le Dr Bloch témoigne de l’intérêt croissant des médecins pour cette discipline et pour son intérêt thérapeutique (de multiples affections : addictions, dépression, stress, anorexie, douleurs chroniques) sont déjà soignées par cette thérapie alternative.

Une étude randomisée réalisée par le Dr Segal de Toronto en 2010 a démontré l’intérêt de 8 semaines de méditation comparées à un placébo ou à la poursuite d’un antidépresseur dans la prévention de la rechute. L’antidépresseur et la méditation ont la même performance et évitent une nouvelle dépression, alors que le placébo est nettement inférieur avec une différence statistiquement significative.

Des chercheurs de l’Université McGill à Montréal ont montré que les opioïdes interviennent directement sur le plaisir musical chez des musiciens, selon une étude publiée dans " scientific report ".
L’équipe du Pr Levitin a bloqué de façon sélective et temporaire les opioïdes cérébraux à l’aide de la naltrexone, un médicament prescrit dans les dépendances aux opiacés. Les chercheurs ont ensuite mesuré les réponses à la musique chez les participants. L’écoute de leurs morceaux préférés, quel que soit leur style musical, ne déclenchait plus aucune sensation de plaisir chez ces derniers. Les opioïdes endogènes (endorphines) sont donc essentiels pour éprouver des émotions positives et négatives avec la musique, ceux-ci utilisent les voies de la récompense connues pour la nourriture, la drogue et le plaisir sexuel. Là encore, on observe un phénomène analogue chez les grands pratiquants et la méditation pourrait jouer un rôle en activant ou en inhibant la sécrétion des endorphines (contrôle des douleurs chroniques par exemple).

Comme nous l’avons déjà dit, les différentes actions thérapeutiques non invasives de la méditation peuvent être efficaces dans la plupart des cas de dépression, stress, douleurs chroniques et anxiété mais sans s’exposer à des effets secondaires néfastes.

Le point principal pour comprendre l’aspect médical de la méditation est la " réponse Combat fuite " sélectionnée par l'évolution pour assurer la survie des individus avec ses conséquences physiologiques. Il s’agit d’une boucle réflexe qui réagit de façon instinctive, par la sécrétion d’hormones et de médiateurs chimiques, à une menace sans intervention de l’intellect afin de préparer le corps à bouger très vite. Ce qui a pu être très utile pour nos lointains ancêtres pour éviter les prédateurs, devient très délétère si ce système est activé de façon chronique dans nos sociétés modernes où l’individu est sous pression permanente, on devient " stressé ".

Les conséquences physiologiques (hypersécrétions de catécholamines surrénaliennes, hypercortisolémie, hyperglycémie etc...), des réactions de type " combat fuite " lors de stress chronique, génèrent de multiples conséquences médicales avec hypertension artérielle, hypersécrétion d’acide gastrique et ulcère, anxiété et dépression, troubles digestifs à type de colite spasmodique, troubles du sommeil, stress et diminution de l'immunité (hypersécrétion de cortisol).

Le système neuro-endocrinien (sympathique et para sympathique) est l’acteur principal de ces manifestations physiologiques.

Le système sympathique est responsable de la sécrétion de l’adrénaline ou épinéphrine, bien connu du grand public, pour son effet euphorisant lors des émotions intenses. Celle-ci augmente le débit cardiaque par une action inotrope positive sur le cœur ; elle augmente également la pression artérielle en accroissant les résistances artérielles systémiques et elle accélère la fréquence cardiaque. Elle agit également directement sur le cerveau en diminuant la sensation douloureuse et en provoquant " un état second " d’exaltation qui décuple pour un temps les possibilités physiques et mentales du sujet. Elle a d’autres effets, notamment digestifs, avec une diminution du transit intestinal et une hypersécrétion d’acide gastrique. Le système para sympathique fait exactement l’inverse et c’est l’équilibre de ces deux grands opérateurs qui permet de vivre en bonne santé. La méditation pratiquée régulièrement permet de diminuer l’importance de l’activation chronique de cette boucle réflexe, voire de l’annuler chez les pratiquants très expérimentés.

D/ Conclusions :

La méditation n'est pas seulement un ensemble de techniques permettant l'analyse, la régulation et la modification de l'esprit, elle est aussi, associée à une éthique et à des préceptes, une manière d'être et fait partie intégrante de la vie. On médite toujours plus ou moins intensément au cours de la journée. Elle diminue l’impact physiologique des événements de la vie quotidienne et positive notre vision des choses. Elle permet enfin de vivre dans l'équanimité et dans la neutralité émotionnelle. La sagesse, la compassion, l'absence de réaction agressive sont gages d'une vie plus calme et plus heureuse, moins soumise aux aléas de l'impermanence qui caractérise notre monde. Cette pratique peut vraiment permettre de devenir un meilleur être humain et de trouver le bonheur en évitant la souffrance.

Dr D. Prapotnich