A/ La méditation
Le mot français " méditation " vient du latin " meditatio
" qui recouvre l’action de réfléchir, de penser profondément à un
sujet, de s’absorber dans une réflexion profonde.
Il est la traduction du terme originel " bhāvanā
" en pali comme en sanskrit, qui peut être traduit par " culture
ou cultiver " dans le sens d’une préparation ou d’un développement
mental grâce à un ensemble d’exercices quotidiens de l’esprit. Cette
pratique est un processus continu, un entrainement spirituel qui n’a
pas de fin.
Il existe donc une différence fondamentale entre la traduction
française " méditation " qui évoque un phénomène statique, ponctuel,
limité dans le temps et sa signification historique bien plus large et
dynamique, d’une pratique qui doit être poursuivie tout au long de la
vie.
Il s’agit bien d’une action volontaire et continue
de l'esprit qui consiste à cultiver (faire évoluer, transformer)
sa vision des choses en tournant son regard vers l'intérieur grâce à
des exercices de pure concentration et d’attention extrême.
Ces techniques d’entrainement mental (accessibles à
tout le monde) visent à développer le contrôle de l’attention
et à dissiper progressivement les obscurcissements mentaux générés
par les passions et les attachements aux illusions, afin de se libérer
de la souffrance et atteindre le calme mental et l’équanimité. Dans
le bouddhisme,
le mot équanimité (égalité de l’humeur) traduit le mot sanskrit
upekṣā
(upekkha en pāli). Dans ce contexte on l'entend
plus comme " impartialité ", l'intention de bienveillance étant égale
envers un proche comme envers un inconnu ou même quelqu'un de malveillant
à notre égard. Elle nous permet d'être totalement avec ce qui existe
sans être perdu ou désespéré, sans prendre les choses personnellement;
c'est l'acceptation totale de ce qui est.
Il faut distinguer deux acceptions du mot " esprit " en
français. L’une plutôt scientifique (mind en anglais) étant liée
à l’activité cérébrale mesurable, recouvrant tout ce qui se passe
dans le cerveau (émotions, sentiments, pensées, réflexions etc..) et
l’autre plutôt religieuse qui présuppose une connexion à une dimension
supérieure (" spirit " en anglais). Cet exposé, de par sa nature, sera
consacré à la première signification.
Il existe de nombreuses formes et variantes de " méditations
" au sens large, dont certaines ne sont pas propres au bouddhisme (christianisme,
soufisme, jaïnisme, hindouisme). Cependant c’est le bouddhisme qui a
le plus intimement intégré cette notion au cœur même de sa pratique.
Les différentes écoles et courants du bouddhisme, que nous ne détaillerons
pas dans cet article, ont chacun leurs particularités et insistent plus
ou moins sur un ou plusieurs aspects de la pratique méditative, mais tous
se réfèrent aux enseignements du Bouddha historique Shakyamuni.
Cette pratique est enseignée depuis plus de 25 siècles
et de nombreuses générations successives de maîtres ont progressivement
et empiriquement, affiné le processus mental.
Techniquement il s’agit tout d’abord d’apaiser
l’esprit (samatha) et de " calmer le singe " (nos pensées incessantes
qui s’agitent sous notre crâne), par un entrainement régulier et quotidien
en utilisant la concentration mentale " sur un seul point ". Celui-ci utilise
souvent la respiration avec le va et vient du souffle et la succession
des inspirations et expirations comme point de référence. Il faut laisser
le flux de pensées se déposer tranquillement afin d’atteindre le calme
mental et l’état de pleine conscience pour ne plus fonctionner " en
automatique ".
Lorsque cette étape est acquise, vient le temps de la
vision pénétrante (vipassanā), littéralement
voir les choses telles qu’elles sont réellement. Il faut laisser les
pensées et fabrications mentales apparaitre et disparaitre d’elles-mêmes,
sans tenter d’intervenir mentalement ou intellectuellement, simplement
en les reconnaissant et en les identifiant comme non substantielles. L’esprit
apaisé peut alors reconnaitre la véritable nature des phénomènes et
atteindre la sagesse en examinant les différents aspects de la " réalité
" pour constater leur vacuité et leur impermanence.
En fait samatha et vipassanã se font alternativement
en intrication constante, de plus en plus rapidement, avec l’expérience
des pratiquants. La méditation de la compassion bienveillante ou altruiste
combine ces deux aspects. Les méditants très expérimentés peuvent ainsi
atteindre la connaissance suprême de la véritable nature des phénomènes
et l’éveil.
L’aspect subjectif de ce que l'on croit appréhender
(voir, entendre, sentir, toucher, goûter, penser) est sujet à de nombreuses
perturbations et modifications par le cerveau sous la forme d’émotions,
de préjugés, de ressentiments, de conditionnements mentaux, de schémas
intellectuels pré établis.
Le but de la méditation est de s’harmoniser avec
la nature (comprendre l’impermanence des choses et l’accepter sans
regret) et avoir une vision non dualiste des choses (ne pas catégoriser).
La souffrance (Dukkha) est le résultat d'une production
de notre esprit en réponse à des frustrations ou des privations (ou non
obtention de ce que l'on convoite). En d'autres termes nous nous nuisons
à nous-mêmes constamment en voulant sans cesse ce qu’on ne possède
pas et en essayant d’éviter à tout prix ce que l’on aime pas. L'acceptation
des choses telles qu'elles sont, le lâcher prise et l’extinction de
la " soif d’avoir " ainsi que l'harmonisation de notre esprit à notre
environnement, permet d'éviter ces ressentiments négatifs.
Certaines techniques séculières d’entrainement mental
MBSR (mindfulness-based stress reduction) et MBCT (mindfulness-based cognitive
therapy) développées " récemment " (Jon Kabat Zin, 1980-1990) par les
occidentaux sont en quelque sorte une adaptation " condensée " et dépouillée
de la partie religieuse et de l'éthique bouddhique initiale. Ces enseignements
de pleine conscience avec un recentrage sur soi-même en développant et
en contrôlant l’attention, répondent à un besoin fondamental
de l’esprit humain que les occidentaux ont trop longtemps ignoré. L’être
humain fait d’un corps et d’un esprit a besoin d’entretenir l’un
et l’autre s’il veut être heureux et éviter la souffrance physique
ou psychique.
B/ Aspects scientifiques et neurosciences
Le nombre de publications scientifiques concernant les
effets et le retentissement de la méditation sur la santé n’a cessé
d’augmenter depuis 1990 passant d’une cinquantaine par an à plus de
600 dans les années 2010 et plus de 1000 actuellement.
La méditation pratiquée quotidiennement induit des modifications
fonctionnelles mais également structurelles (Hötzel et
al, Scan 2010) dans l’organisation neuronale cérébrale notamment au
niveau de l’amygdale.
De nombreuses études scientifiques démontrent que la
neuro-plasticité et la réorganisation des synapses est effective et
continue, particulièrement sous l’influence de la méditation, "
nous somme nos synapses " disait Joseph Ledoux, neurobiologiste spécialiste
des émotions.
Le cerveau humain est sans doute l’objet le plus
complexe de l’univers (100 milliards de neurones et plus de 10000
synapses en moyenne ou connexions synaptiques sur chaque neurone, l’ensemble
constituant le " connectome "). Le monde est littéralement reconstruit
par l’encéphale dans notre cinéma intérieur grâce aux organes sensoriels.
Ceux-ci sont apparus progressivement au cours de l'évolution Darwinienne
afin d’interpréter notre environnement, dans le cadre d'un processus
continu et adaptatif (vision, audition, sens tactile, goût, saveur).
Le bouddhisme ajoute une autre " source " sensorielle
: la " construction mentale " car la fabrication des pensées sans
stimulus extérieur peut perturber notre réflexion.
Le cerveau ne fait pas de différence entre le réel et le rêve. Par exemple,
nous pouvons nous réveiller en sueur, le cœur battant très fort et paniqué,
à la suite d’un cauchemar. Tout est une question d'interprétation,
d'influx nerveux touchant certaines zones cérébrales, d’activation
ou non de certains centres nerveux. Les animaux ne " voient " pas le monde
comme nous, car leurs organes sensoriels sont différents (chauve-souris,
mouches etc...).
Le cerveau fabrique une " interprétation du réel
" et celle-ci peut être perturbée de multiples façons (illusions sensorielles
bien connues en aviation sous l’influence des accélérations, illusionnistes,
etc...). On voit donc apparaitre la dimension subjective de " ce qui
est ". On peut agir par la méditation sur soi-même, et transformer
son esprit petit à petit, si on le souhaite vraiment, lors des multiples
étapes de cette création mentale, pour diminuer ou amplifier certaines
émotions ou sensations.
Il existe deux principaux réseaux de fonctionnement neuronaux
dénommés en anglais DMN et TPN.
Le réseau DMN (default mode network) ou réseau de fonctionnement
par défaut comprend certaines zones cérébrales responsables de la mémoire
et de la perception du soi. Le réseau DMN est responsable du processus
de la pensée intérieure, comme quand on "pense à autre chose".
On peut démontrer que le fonctionnement de ce réseau
est loin d'être passif et qu'en fait il utilise beaucoup d'énergie. En
un sens, le DMN entre en compétition avec d'autres zones du cerveau pour
en utiliser les ressources. Dès que vous vous mettez à faire quelque
chose qui réclame de l'attention, votre cerveau doit inhiber le DMN.
Ce Réseau Mode par Défaut est responsable de l’état inattentif,
distrait, de vagabondage mental, de rêverie, dans lequel on rumine le
passé, et fait des suppositions pour le futur. Il est actif pendant environ
la moitié de notre temps éveillé. Son apport positif est l’imagination,
la créativité, la planification, la révision du passé pour améliorer
le futur. Par contre, son aspect négatif l’emporte lorsqu’il
est en hyperactivité ou perturbé, avec apparition de toutes sortes d’émotions
négatives, comme l’anxiété, la dépression, les états obsessionnels
(article du Dr Hy Trinh).
Le DMN est en opposition de fonctionnement avec
le réseau de tâches positives TPN (Task-positive network). Ces deux réseaux
sont antagonistes ou mutuellement exclusifs.
Le réseau TPN est activé au cours de la méditation
de pleine conscience. C’est lui qui commande l’attention au présent,
la perception du corps ou l’observation du mental. Le fait qu’il soit
activé va désactiver le DMN, d’où l’arrêt des ruminations, des
regrets du passé, des suppositions du futur, qui sont générateurs de
stress, d’anxiété, voire de dépression. Ceci est nettement démontré
en comparant l’activité des deux réseaux chez les méditants et les
sujets " contrôle " (Dr Hy Trinh).
Le fonctionnement cérébral, d'une extrême complexité,
est très difficile à comprendre et les tentatives, depuis plusieurs années,
du " Human Brain Project " destinées à reproduire l’activité du cerveau
humain sur ordinateur, sont restées pour l'instant sans solution.
Les ondes gamma sur l’électro encéphalogramme (fréquence
environ 40 Hz), qui témoignent d’une grande activité cérébrale, sont
les modifications visibles d’une activité méditative intense et régulière,
pratiquée quotidiennement depuis longtemps. Elles traduisent une synchronisation
très importante des centres cérébraux (expériences de Matthieu Ricard).
Par ailleurs certaines études récentes (Jacobs et
al 2011, prix Nobel) ont mesuré le dosage de la télomérase sanguine
(qui est une enzyme contrôlant la longueur des télomères en rapport
avec le vieillissement cellulaire), chez des méditants ayant une longue
expérience contemplative et chez des sujets novices. Celles-ci démontre
une augmentation significative du taux de la télomérase chez les pratiquants
(suggérant une action anti âge sur la physiologie cellulaire).
D’autres études (Antoine Lutz, 2008) démontrent
une action générale sur l’inflammation avec une meilleure réponse
en faveur de la méditation, probablement par l’intermédiaire de la
diminution de la sécrétion de cortisol lors de la méditation. De même
certaines études montreraient un possible retentissement génétique de
la méditation (Herbert Benson de Boston, gènes associés à la sécrétion
d’insuline et aux mécanismes d’inflammation).
Le réarrangement structurel des synapses chez l’adulte
est constaté par l’IRM fonctionnelle ou par le PET scan dans de nombreuses
pratiques sportives ou chez des personnes ayant une activité spécifique
(jongleurs ou musiciens par exemple). On a pu récemment mettre en évidence,
par IRM fonctionnelle, un changement identique avec une augmentation du
nombre de synapses dans certaines structures cérébrales (insula), lors
d’une méditation intense sur la compassion (Antoine Lutz, Matthieu Ricard,
au NCAM de Boston). Certaines études (Sagi et al) suggèrent même que
quelques heures seulement, pourraient suffire, pour observer un changement
dans la structure de la matière grise. Le cerveau reste un organe mystérieux,
mouvant, qui ne cesse d'évoluer quand on le sollicite.
C/ Aspects médicaux
L’ouverture en février 2013 d’un diplôme universitaire
de méditation de pleine conscience à Strasbourg par le Dr Bloch témoigne
de l’intérêt croissant des médecins pour cette discipline et pour
son intérêt thérapeutique (de multiples affections : addictions,
dépression, stress, anorexie, douleurs chroniques) sont déjà soignées
par cette thérapie alternative.
Une étude randomisée réalisée par le Dr Segal de
Toronto en 2010 a démontré l’intérêt de 8 semaines de méditation
comparées à un placébo ou à la poursuite d’un antidépresseur dans
la prévention de la rechute. L’antidépresseur et la méditation ont
la même performance et évitent une nouvelle dépression, alors que le
placébo est nettement inférieur avec une différence statistiquement
significative.
Des chercheurs de l’Université McGill à Montréal
ont montré que les opioïdes interviennent directement sur le plaisir
musical chez des musiciens, selon une étude publiée dans " scientific
report ".
L’équipe du Pr Levitin a bloqué de façon sélective
et temporaire les opioïdes cérébraux à l’aide de la naltrexone, un
médicament prescrit dans les dépendances aux opiacés. Les chercheurs
ont ensuite mesuré les réponses à la musique chez les participants.
L’écoute de leurs morceaux préférés, quel que soit leur style musical,
ne déclenchait plus aucune sensation de plaisir chez ces derniers. Les
opioïdes endogènes (endorphines) sont donc essentiels pour éprouver
des émotions positives et négatives avec la musique, ceux-ci utilisent
les voies de la récompense connues pour la nourriture, la drogue et le
plaisir sexuel. Là encore, on observe un phénomène analogue chez les
grands pratiquants et la méditation pourrait jouer un rôle en activant
ou en inhibant la sécrétion des endorphines (contrôle des douleurs chroniques
par exemple).
Comme nous l’avons déjà dit, les différentes actions
thérapeutiques non invasives de la méditation peuvent être efficaces
dans la plupart des cas de dépression, stress, douleurs chroniques et
anxiété mais sans s’exposer à des effets secondaires néfastes.
Le point principal pour comprendre l’aspect médical
de la méditation est la " réponse Combat fuite " sélectionnée
par l'évolution pour assurer la survie des individus avec ses conséquences
physiologiques. Il s’agit d’une boucle réflexe qui réagit de façon
instinctive, par la sécrétion d’hormones et de médiateurs chimiques,
à une menace sans intervention de l’intellect afin de préparer le corps
à bouger très vite. Ce qui a pu être très utile pour nos lointains
ancêtres pour éviter les prédateurs, devient très délétère si ce
système est activé de façon chronique dans nos sociétés modernes
où l’individu est sous pression permanente, on devient " stressé ".
Les conséquences physiologiques (hypersécrétions de
catécholamines surrénaliennes, hypercortisolémie, hyperglycémie etc...),
des réactions de type " combat fuite " lors de stress chronique, génèrent
de multiples conséquences médicales avec hypertension artérielle, hypersécrétion
d’acide gastrique et ulcère, anxiété et dépression, troubles digestifs
à type de colite spasmodique, troubles du sommeil, stress et diminution
de l'immunité (hypersécrétion de cortisol).
Le système neuro-endocrinien (sympathique et para sympathique)
est l’acteur principal de ces manifestations physiologiques.
Le système sympathique est responsable de la sécrétion
de l’adrénaline ou épinéphrine, bien connu du grand public, pour son
effet euphorisant lors des émotions intenses. Celle-ci augmente le débit
cardiaque par une action inotrope positive sur le cœur ; elle augmente
également la pression artérielle en accroissant les résistances artérielles
systémiques et elle accélère la fréquence cardiaque. Elle agit également
directement sur le cerveau en diminuant la sensation douloureuse et en
provoquant " un état second " d’exaltation qui décuple pour un temps
les possibilités physiques et mentales du sujet. Elle a d’autres effets,
notamment digestifs, avec une diminution du transit intestinal et une hypersécrétion
d’acide gastrique. Le système para sympathique fait exactement l’inverse
et c’est l’équilibre de ces deux grands opérateurs qui permet de
vivre en bonne santé. La méditation pratiquée régulièrement permet
de diminuer l’importance de l’activation chronique de cette boucle
réflexe, voire de l’annuler chez les pratiquants très expérimentés.
D/ Conclusions :
La méditation n'est pas seulement un ensemble de techniques
permettant l'analyse, la régulation et la modification de l'esprit, elle
est aussi, associée à une éthique et à des préceptes, une manière
d'être et fait partie intégrante de la vie. On médite toujours plus
ou moins intensément au cours de la journée. Elle diminue l’impact
physiologique des événements de la vie quotidienne et positive notre
vision des choses. Elle permet enfin de vivre dans l'équanimité et dans
la neutralité émotionnelle. La sagesse, la compassion, l'absence de réaction
agressive sont gages d'une vie plus calme et plus heureuse, moins soumise
aux aléas de l'impermanence qui caractérise notre monde. Cette pratique
peut vraiment permettre de devenir un meilleur être humain et de trouver
le bonheur en évitant la souffrance.
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